Tasser mon égo

Depuis le temps que je rêve d’un rôle principal sur scène, avec Je suis le contrepoids du monde, je suis servie! Jamais je n’aurais pensé que ce serait dans une coproduction Québec-France, ni que ce serait une création pour adolescents, pleine de poésie, d’amour et de performances. Comme quoi le métier d’actrice est rempli de surprises!

Comme je suis sur scène tout le long du show, il faut que je sois préparée physiquement et mentalement, mais surtout, que je m’arme de patience. Comme nous travaillons avec sept adolescents « amateurs » différents dans chaque ville où nous présentons le spectacle, il y a beaucoup de temps de répétition à prévoir avant la représentation. Ce qui est merveilleux, c’est que ça me force à me renouveler, à surprendre mon partenaire, à ne pas toujours faire pareil, sinon on tombe dans un ennui mortel. Et l’excitation des jeunes qui voient et vivent le show pour la première fois est contagieuse! Ils me donnent envie d’être meilleure, d’être à leur hauteur.

Mais…

Les acteurs sont des humains, pas des machines. Et avec l’humanité viennent les failles. Lorsqu’on travaille si intensément avec le même petit groupe d’artistes, c’est normal qu’il y ait des frictions, des divergences d’opinions, des rythmes de travail qui entrent en collision. Moi, je suis habituée d’aller vite, de bien faire, d’être volontaire. En théâtre, tout est plus lent : on cherche, crée, essaye, recommence… L’impatiente que je suis en prend tout un coup! De plus, mon partenaire de jeu dans la pièce n’a pas la même technique de travail que moi, nous ne voyons pas le jeu d’acteur de la même façon. Lui, il est de style combatif, il monte la garde constamment alors que moi, je suis plutôt comme un canal, les bras grands ouverts. C’est extrêmement intéressant comme rencontre, mais bouleversant aussi. S’adapter à l’autre, c’est se confronter à soi-même.

On compare souvent notre milieu à une grande famille et c’est vrai! Mais comme chaque famille est différente, il faut apprendre à vivre avec elle et savoir tirer le meilleur de tous. Au Conservatoire, j’ai étudié trois années avec les mêmes 10 personnes. Elles sont devenues mes frères et mes sœurs, mais nous ne nous entendons pas tous bien, je n’ai pas la même vision artistique que certains et c’est bien correct comme ça. Vivre en microcosme apporte de belles découvertes, mais c’est aussi bouleversant. Deux ans après ma sortie, je me rends compte que je suis encore échaudée de certains conflits que j’ai eus avec mes collègues de classe et que mes mécanismes de défense refont surface. Mais Je suis le contrepoids du monde est un projet professionnel, alors je me dois d’agir comme tel. Durant la tournée en France au mois de février, j’ai appris à verbaliser mes contrariétés vis-à-vis de mon partenaire et à me « calmer le pompon », comme dirait ma mère. Je suis peut-être enfant unique dans la « vraie » vie, mais dans ma famille théâtrale je ne suis pas seule et tout ne tourne pas toujours autour de mon nombril. Les acteurs ont généralement de bons égos, il est bien de se ramener à l’ordre de temps en temps !

Je suis le contrepoids du monde

Des compagnies Le Clou et Ariadne

Texte : Karin Serres

M.e.s : Benoit Vermeulen et Anne Courel

Avec : Eve Lemieux, Medhi Limam, Sarah Vermande et Jean-Frédérick Messier.

Crédits photos : Arnaud Peyraube

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