Liane-Providence

Enfant acteur : à quel prix?

Je ne le répéterai jamais assez; le rôle de l’agent, c’est de prendre soin de son acteur de A à Z en collaboration étroite avec le parent. C’est la définition même de son travail. Il faut aussi comprendre la position délicate dans laquelle se trouvent les parents :  il y a beaucoup d’argent et d’opportunités en jeu. C’est normal qu’il soit difficile parfois de mettre ses limites pour satisfaire les besoins des producteurs. Seulement, à quel prix?

Je travaille une scène d’époque dans laquelle il y a un bébé de 8 mois couché dans un berceau. Je suis engagée par la production pour coacher la petite fille qui joue le rôle de la jeune grande sœur. Dans la scène, la jeune actrice doit s’approcher du berceau avec une lampe à l’huile de l’époque allumée à la main, doit déposer sa lampe sur une table avoisinante et prendre le bébé dans ses bras. Cette petite fille ne doit pas avoir plus de 7 ans.

Alerte! Alerte! Alerte!

À ce moment, tous mes sens sont en alerte et je ne fais que percevoir les nombreux dangers imminents devant moi : feu de la lampe, perruque inflammable sur la tête de la petite, tissus inflammables qui enroulent le poupon, la lampe qui tombe sur le bébé, la lampe qui tombe par terre, la petite qui échappe le bébé… Tout ça, en répétant la scène plus de 7 fois!

Je suis initialement engagée par la production pour coacher la jeune fille, mais dès la première prise, je sens un appel puissant à m’occuper du bébé puisque personne ne semble se soucier de lui. Je le prends dans mes bras entre chaque prise, je le rassure et le réconforte afin de le mettre en sécurité. Cependant, j’ai tout essayé, mais rien ne fonctionne; il pleure violemment et à chaudes larmes.

C’est compréhensible qu’il réagisse de la sorte; j’aurais probablement réagi de la même façon si, comme lui, j’avais dû porter une couche souillée toute la scène…  En plus de tout cela, le bébé souffre de diarrhée dans l’histoire! Pour reproduire cet effet, l’accessoiriste doit bien malgré lui remplir la couche du bébé de caramel froid entre chaque prise.

Résultat : le pauvre petit est constamment refroidi par le caramel collant dans sa couche, il se fait déposer dans un lit inconfortable imprégné d’une odeur qui n’est pas la sienne et se fait prendre maladroitement par une petite fille complètement étrangère à lui. À ce moment, je suis tétanisée.

Il pleure souvent à la maison…

À la fin du tournage, je sors du plateau et je me dirige vers les parents qui sont aux moniteurs, complètement émerveillés de voir leur enfant à l’écran. Épuisée, je m’approche d’eux et je m’excuse (bien que je n’aurais pas dû m’excuser puisque ce n’est pas mon travail de m’occuper de lui) de ne pas avoir réussi à réconforter le petit. Ils me répondent qu’il n’y a rien là, que c’est normal puisqu’il pleure souvent à la maison… Il aurait fallu que les parents appellent l’agent de l’enfant pour le mettre au courant des conditions de tournage inappropriées et pas qu’ils me répondent de la sorte. Je suis renversée par ce commentaire et je décide de quitter le plateau.

Sachez que sur les plateaux de tournage, il y a toujours deux bébés, au cas où l’un ne soit plus en mesure de travailler. Dans la salle d’attente du studio, la mère du bébé “backup” m’apostrophe en colère pour me demander si la scène s’est bien déroulée avec le bébé initial. Elle n’est pas contente, car son bébé n’a pas été utilisé pour la scène et ne sera donc pas à l’écran. Je lui réponds qu’elle sera tout de même payée pour sa journée et que bien honnêtement, ce n’était vraiment pas une expérience agréable pour le poupon qui a tourné. J’ai beau lui dire toutes les horreurs que le petit a dû traverser, mais tout ce qui lui importe c’est que son enfant ne passe pas à la télévision.

C’est suite à cet incident que l’envie d’écrire un livre sur la réalité du milieu ainsi que les conditions réservées aux enfants acteurs est née. J’avais l’appel et le désir de dépeindre à la population toutes les conditions de travail qui leur sont réservées, derrière l’admiration et la gloire malsaines que l’on peut y récolter. L’agent, ici, aurait bien vu que les conditions de tournage sont inacceptables et qu’il aurait fallu réécrire la scène dans le respect des besoins du poupon, et non de l’intrigue.

Et vous, auriez-vous appelé l’agent de votre enfant?

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